De la confrérie des vignerons au grand rendez-vous populaire : secrets et traditions de la Saint-Vincent tournante en Bourgogne

23 septembre 2025

Une fête qui sent bon la vigne : la Saint-Vincent tournante, qu’est-ce que c’est ?

Chaque année, à la toute fin janvier, des milliers d’amoureux du vin se pressent dans un village bourguignon. Les rues se parent de guirlandes, de décorations spectaculaires en papier crépon, les portes s’ouvrent à la dégustation, et les chants résonnent : bienvenue à la Saint-Vincent tournante ! Mais derrière cette célébration haute en couleur, il y a une histoire presque millénaire et un savant mélange de tradition, de spiritualité et de convivialité viticole.

Pour beaucoup, c’est LE rendez-vous à ne pas manquer pour découvrir la diversité des appellations locales, rencontrer les vignerons dans une ambiance hors du temps et saisir l’âme des villages de Bourgogne. Pourtant, les origines de la Saint-Vincent sont plus secrètes qu’il n’y paraît…

Aux origines : Saint Vincent, du martyr au patron des vignerons

Avant d’être « tournante », la fête était simplement la Saint-Vincent, célébration religieuse en l’honneur de saint Vincent de Saragosse, martyr espagnol du IVe siècle. Pourquoi ce Vincent ? Un indice dans son nom… « Vin-cent », et surtout une tradition qui veut qu’il soit le protecteur des vignerons.

Dès le Moyen Âge, saint Vincent est invoqué partout où la vigne est reine : en Bourgogne mais aussi dans le Bordelais, le Beaujolais, la Champagne… On le prie pour chasser le gel, favoriser la récolte, et surtout, éloigner les aléas climatiques. Le choix de sa fête, le 22 janvier, coïncide avec la « sortie de l’hiver », moment où la vigne entre dans son repos avant la taille.

  • Un dicton bourguignon affirme : « À la Saint-Vincent, l’hiver monte ou descend. »
  • Selon les archives des confréries, les premières processions datent du XVe siècle (BIVB).

La naissance de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin

Si la Saint-Vincent était surtout un temps fort religieux et corporatiste dans chaque village, tout change dans les années 1930 avec la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Fondée en 1934 au château du Clos de Vougeot, elle veut redonner du prestige aux vins bourguignons après la crise du phylloxéra et de la Première Guerre mondiale.

La confrérie relance la tradition, mais l’enrichit d’un esprit de fête collective, théâtralisée et itinérante : c’est la naissance de la « tournante ». Concrètement, chaque année, un village à tour de rôle accueille la célébration. L’idée ? Partager l’honneur, dynamiser chaque terroir et faire vibrer ensemble toute la communauté des vignerons.

  • La première Saint-Vincent tournante a eu lieu à Chambolle-Musigny en 1938.
  • En 2024, elle fêtera sa 80e édition.

La recette du succès est là : ancrage local, fraternité viticole, ouverture au public. Peu d’autres vignobles français ont inventé une fête aussi vivante où tout le village s’unit, des caves à la place du marché !

Quels sont les rituels et coutumes de la Saint-Vincent tournante ?

La procession solennelle

Impossible de rater la somptueuse procession : mannequins, bannières, fanfares ouvrent la marche, porteurs de la statue de saint Vincent en habit traditionnel, vignerons en cape noire de la confrérie, élus du village, enfants… Tout le cortège file à travers les ruelles jusqu’à l’église pour la bénédiction. C’est l’un des moments les plus photogéniques, mais aussi les plus solennels.

  • Le porteur de la statue est souvent choisi parmi les jeunes vignerons, symbole du passage de témoin.
  • Le costume traditionnel varie selon les villages : cape bordeaux, béret noir, écharpe verte…

La messe et la bénédiction des vins

Après la procession, la messe célèbre à la fois la mémoire des anciens et la bénédiction de la nouvelle récolte, moment clé pour espérer une année généreuse et saine. Le prêtre, parfois accompagné du Grand Maître de la Confrérie, bénit les fûts, les outils et les vignerons.

Au XXIe siècle, le côté liturgique s’est un peu assoupli, mais la symbolique reste forte : c’est la communauté réunie qui est placée sous la protection de son saint.

L’accueil dans les caves et les dégustations itinérantes

Mais ce qui fait vibrer la Saint-Vincent tournante, c’est surtout l’effervescence dans les rues et les caves. Après le cérémonial, place à la découverte des vins de l’année ! Grâce au fameux verre-sésame (souvent un verre gravé et un carnet de dégustation), on parcourt le village pour goûter des dizaines de crus proposés par les vignerons locaux.

  • En moyenne, plus de 100 000 verres sont servis lors d’une édition majeure (France Bleu, 2019).
  • En 2017 à Mercurey, près de 100 000 visiteurs étaient présents.
  • Chaque édition dispose parfois de « cuvées spéciales », vendues uniquement lors de l’événement.

La décoration spectaculaire du village

Chaque commune rivalise de créativité pour transformer ses rues en galerie d’art éphémère. Les arcs fleuris, guirlandes, sujets géants en carton ou feuillage transfigurent le moindre coin de grange. En coulisses, ce sont souvent les associations locales, les écoles, les commerçants qui bricolent pendant des semaines !

À Rully en 2012, plus de 30 000 fleurs en papier ont été fabriquées à la main par les habitants (Le Journal de Saône-et-Loire).

Les intronisations de la confrérie

Autre moment fort, l’intronisation de nouveaux « chevaliers du Tastevin » : personnalités gourmandes, artistes, ou simples amateurs sont conviés à prêter serment sur le tastevin géant, lors d’une petite cérémonie où humour et traditions se mêlent.

Les secrets de la préparation : solidarité et organisation titanesque

Ce que l’on ne mesure pas, c’est l’ampleur de l’organisation. Accueillir entre 30 000 et 100 000 visiteurs, c’est un vrai défi pour les villages, parfois de moins de 1 000 habitants ! Tout repose sur la solidarité : un comité s’organise 18 mois à l’avance, dizaines de réunions, gestion des parkings, toilettes, stands, sécurité, hébergements…

  • À Gevrey-Chambertin (2023), 2 000 bénévoles étaient répartis sur 23 sites de dégustation (Burgundy Report).
  • Le verre-sésame s’achète en pré-vente sur internet pour mieux anticiper la foule.
  • La circulation des voitures est entièrement repensée pendant le week-end.

Dans les coulisses, la « tournante » soude les générations, mobilise clubs sportifs, retraités, familles, et fait émerger un vrai « esprit village ».

Anecdotes et moments marquants

  • En 1947, la Saint-Vincent de Vosne-Romanée a été marquée par une neige abondante : la procession s’est faite en luge entre les caves…
  • Certaines éditions ont accueilli des visiteurs venus de plus de 30 pays différents, preuve de l’aura internationale de la fête.
  • En 2005, à Chassagne-Montrachet, le village a accueilli près de 100 000 personnes en un week-end, soit 200 fois la population habituelle !
  • Connaissez-vous la « nuit des caves » ? Certains villages prolongent la fête jusqu’au bout de la nuit, dans un parcours entre caves musicales, feux de bois et soupe à l’oignon à l’aube…

Pourquoi la Saint-Vincent tournante fascine encore aujourd’hui ?

Ce qui rend la Saint-Vincent unique, c’est sa capacité à se renouveler tout en restant fidèle à ses racines. Les enjeux du vin évoluent (biodiversité, adaptation climatique, mondialisation), mais la tournante demeure un poumon identitaire pour les villages, vitrine de leur savoir-faire et passerelle avec le grand public.

  • Les retombées économiques sont majeures : plus de 3 millions d’euros estimés injectés localement par édition (France 3 Bourgogne, 2017).
  • Le succès de la tournante inspire d’autres régions : on retrouve des variantes de la procession viticole en Alsace ou en Champagne.

Enfin, elle est un rite d’initiation pour le goût, la culture, la découverte de l’autre. Chaque édition raconte une histoire différente, portée par l’énergie des nouvelles générations de vignerons et l’attachement des anciens.

Pour aller plus loin : conseils pour vivre la Saint-Vincent tournante

  • Préparer sa visite : le village change chaque année ! Programme et infos à découvrir en avance sur les sites comme saint-vincent-tournante.fr.
  • Penser transport : privilégier les navettes publiques ou le train si possible.
  • Oser les « petits crus » : profiter de ce rendez-vous pour goûter des appellations moins connues, ils réservent de belles surprises.
  • S’immerger dans la déco : lever la tête, entrer dans les recoins, parler avec les habitants qui ont passé des heures à préparer chaque détail.
  • Respecter les lieux : la fête est d’autant plus belle qu’elle est respectueuse des villages et de leur environnement.
  • Participer aux animations : concerts, groupes folkloriques, démonstrations de taille de vigne ou de tonnellerie, il y a toujours de nouveaux pans du patrimoine à explorer.

La Saint-Vincent tournante, un patrimoine vivant et en mouvement

La Saint-Vincent tournante, c’est la Bourgogne dans ce qu’elle a de plus authentique et de plus festif. On n’y célèbre pas seulement le vin, mais tout un art de vivre, une force collective et la transmission d’un savoir-faire unique. De la plus humble vigne aux grands crus, chaque village, chaque main qui s’active à la préparation écrit un nouveau chapitre d’une longue histoire.

Dans un monde où la convivialité se raréfie, se retrouver autour d’un verre de Bourgogne, d’une chanson, d’un moment de partage… Voilà peut-être la plus belle tradition de la Saint-Vincent : celle qui relie, qui unit et qui donne envie de découvrir cette région autrement, d’année en année. Santé !

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